Vous vous retrouviez dans ce lieu que vous connaissiez bien tous les deux. Gabriel à cause de ta rééducation, et Heath à cause de ta presque hypocondrie et ta fâcheuse habitude de demander des médicaments pour X et Y raisons.

Le fond de la pièce était composé de cinq lits séparé par des rideaux étirables. Il y avait de nombreuses chaises pour ceux qui attendent les autres. Derrière la porte d'entrée, il y a une affiche de test de vue, ainsi qu'un mètre peint pour mesurer les élèves et une balance. Quand on y pense, ça fait plus cabinet de pédiatre qu'une réelle infirmerie. Le bureau de l'infirmière coupait cette partie de la pièce de l'entrée.

Même si celle-ci n'était jamais là, pas mal de dossiers étaient empilés, dont une enveloppe jaune avec le nom des deux candidats écrits dessus.




Vous l'avez donc compris. Vous devez trouver la réponse à cette énigme. Et pour vérifier que vous avez la bonne réponse, celle-ci est cachée dans la pièce. On vous laisse donc fouiller avec intérêt. La cachette a été déterminée par avance, comme ça, nous ne trichons pas. Bien sûr, Prophetia interviendra quelques fois pour vous rapprocher de la solution.

Gabriel commencera le sujet et Heath répondra ensuite.

Il doit y avoir une sorte de mauvaise blague à l'origine du choix du lieu de rendez-vous qu'on avait donné à Gabriel ; tout d'abord parce que cette idée de chasse au trésor ressemblait à une sorte de vaste blague elle-même – un jeu auquel participeraient tous les élèves de l'école, dans une ambiance de paix et d'amour ? Très drôle. Mais l'infirmerie ? Bien entendu, il n'y passait déjà pas assez de temps, plusieurs fois par semaine. Au moins, l'avantage était qu'il n'avait pas besoin de prendre l'ascenseur pour s'y rendre, et ne risquait donc pas de rester coincé à l'étage en attente d'une âme charitable comme cela avait pu arriver l'autre jour. Son futur coéquipier se trouvait déjà là, un type qu'il connaissait vaguement, de vue, ils avaient partagé une chambre, pendant quelques jours, lors du séjour à Clever Cross. Rien ne s'était passé d'intéressant, il ne se souvenait pas d'avoir échangé plus de paroles que le strict nécessaire pour s'arranger, bonjour, bonne nuit, attention pousses-toi tu gênes le fauteuil. D'ailleurs, jusqu'à ce qu'on lui annonce qu'ils seraient coéquipiers dans cette folle aventure, Gabriel ne pouvait pas honnêtement dire qu'il se souvenait de l'existence de ce type. Enfin, il valait mieux faire contre mauvaise fortune bon cœur, et terminer aussi vite que possible cette mascarade.

Après avoir salué d'un signe de tête son compagnon de route pour l'après-midi, Gabriel entre dans l'infirmerie, notant tout de suite l'absence –habituelle- de l'infirmière, ainsi que le bazar qui règne sur son bureau, au milieu duquel une enveloppe se détache, avec son jaune criard qui tranche sur les dossier marron, bleus, ou, dans le pire des cas, rouges. Une poussée sur le joystick, et le voilà près du bureau, attrapant l'enveloppe sur laquelle leurs noms sont écrits.

- Je suppose que c'est par ça qu'on va devoir commencer…

Un soupir, et il sort la feuille de l'enveloppe, la parcourt rapidement, puis la passe au brun. Une énigme, ça lui en rappellerait presque des souvenirs, le directeur de Synchronicity s'amusait parfois à ce genre de jeu. Si l'explosion et ses suites restaient un traumatisme, il n'était pas mécontent de s'en être débarrassé. Celle-ci en tout cas lui semblait familière, il avait déjà dû l'entendre, même si la réponse ne lui venait pas sur le coup. L'indice serait cependant appréciable, ses moyens de déplacement ne coïncidant pour l'instant pas vraiment avec ceux dont on aurait rêvé pour fouiller une pièce.

- On n'a qu'à résoudre cette fichue énigme avant tout, ça nous permettra sans doute de réduire le champ de recherche. J'crois que je la connais, mais impossible de m'en souvenir. T'en dis quoi ?

Autant coopérer plutôt que de se mettre Heath à dos tout de suite. Pour l'étape des fouilles, les jambes fonctionnelles du brun, et par conséquent la hauteur qu'il pouvait atteindre en levant les bras, seraient plus qu'utiles.

La stratégie proposée par Heath n'est pas mauvaise non plus, même si la répartition des rôles souligne un peu trop l'incapacité de Gabriel à mener une recherche efficace à son goût. Enfin, même si elle ne lui avait pas convenue, l'autre a déjà commencé à fouiller, donc il ne lui reste bel et bien plus qu'à réfléchir. Certes, ils doivent trouver quelque chose, mais "s'embêter à déchiffrer", comme l'a dit l'allemand, pourrait aiguiller leurs recherches, si le statut d'indice de l'énigme n'est pas une simple blague de la part de la personne chargée de mettre en place ce stupide jeu. Surtout qu'il a vraiment la réponse sur le bout de la langue, c'est une énigme qu'il connaît, et il ne peut s'empêcher d'en marmonner l'énoncé, suivant la consigne sans même s'en rendre compte, "toujours devant nous", son regard se perd devant lui, mais il finit par se reprendre. Rester planter là à réfléchir ne fera pas avancer les choses.

- Continue à regarder dans la pièce alors, je vais jeter un œil sur le bureau en attendant que la réponse me revienne, j'ai déjà entendu cette énigme.

Bureau qui d'ailleurs n'est pas si loin que ça, puisque Gabriel n'a pas bougé après avoir attrapé l'enveloppe. Avant toute chose, il déplace les dossiers, les empile dans un coin du bureau, la confidentialité devrait être assez importante pour que la direction n'ait pas poussé le vice jusqu'à cacher le mot à l'intérieur. Quelque chose qu'on ne peut pas atteindre… Il lui semble que ça a quelque chose à voir avec l'extérieur, quelque chose d'un peu abstrait. Ce n'est pas l'ombre, encore qu'il y ait une énigme qui y ressemble. Quelque chose qu'on ne peut atteindre. Donc, même quand on se déplace. Le haut des escaliers, peut-être ? L'hypothèse lui arrache à peine un sourire, tomber dans l'auto-dérision est bien la dernière chose qu'il souhaite.

Tant qu'à faire, autant utiliser le peu qu'ils ont pour en finir avec ça le plus vite possible.

La diplomatie, Gabriel n'a rien contre. Se montrer agréable envers ceux qui peuvent être potentiellement utiles – ou potentiellement nuisibles, selon les cas, mais cela revient au même dans l'attitude qu'il faut adopter-, il sait faire, il maîtrise les ficelles, sait que cela demande du self-control et parfois, quand la situation le nécessite vraiment, il sait prendre sur lui, quitte à aller cogner dans un mur une fois qu'il sera tranquille. Mais là, le brun dépasse les bornes, et se permet plus qu'il ne le devrait. Qu'aucun des deux ne fasse d'effort particulier pour maintenir une conversation inutile aurait été, au fond, plus appréciable que cette question indiscrète, indésirable et irritante. Et il lui faut beaucoup d'effort pour garder un ton neutre, dans lequel il ne peut pourtant s'empêcher de laisser transparaître un léger agacement, surtout en voyant l'autre abandonner les recherches pour aller se peser. Comme si c'était le moment. Comme si Heath n'en avait rien à faire de rester coincé là jusqu'à ce qu'ils aient trouvé ce fichu mot.

- Et à part ça, ça te regarde ?

La réplique est pauvre, et si l'Autre était là, il l'enfoncerait surement pour son manque de répartie. Enfin, si l'Autre était là, Heath serait surement au mieux ignoré, au pire pris entre les feux croisés. Avec un soupir, Gabriel abandonne le bureau et se dirige vers la deuxième fenêtre.

- Sinon, plutôt que de surveiller que tu rentres encore dans tes fringues, tu pourrais m'aider à chercher. Je suis pas vraiment le mieux placé pour faire ça, là… Et si tu réfléchis bien, ça te donnera même un indice sur pourquoi j'évite d'aller en soirée.

Au moins, l'autre ne pourra pas se plaindre de ne pas avoir eu droit à sa réponse, au moins en partie.

Heath a raison. Toutes ces histoires ne le regardent absolument pas. Mais le pire, c'est qu'il a raison sur un autre point. Gabriel le sait bien, que c'est son attitude à lui qui déterminera le regard des autres. On le lui a appris dès son plus jeune âge, s'il reste lui-même persuadé de sa capacité à avoir de l'autorité sur les autres, alors les autres ne remettront pas en cause cette autorité. S'il dégage une impression de pouvoir, de confiance en lui, alors les autres le verront comme quelqu'un de puissant, en qui avoir confiance. Il sait bien, que ce handicap peut ne pas en être un, que s'il ne donne pas l'impression d'être pitoyable, les gens n'auront pas pitié, qu'il peut se débrouiller, qu'il a appris à le faire, depuis maintenant deux ans. Mais parfois, il a juste envie de tout laisser tomber, de hurler. Parce que quelqu'un de normal ne serait pas coincé à l'étage par une simple panne de courant. Parce que quelqu'un de normal pourrait aller fouiller en haut de cette armoire, où il voit dépasser un objet qui, après tout, pourrait bien être le mot qu'il cherche. Et que là, le brun a juste remué le couteau dans la plaie. Et le pire, c'est qu'il a raison, mais ça, Gabriel ne peut pas lui dire. Ne peut pas le dire. Alors il fait comme si le brun n'avait rien dit.

De toute façon, il n'est même pas sûr que l'autre écouterait, tout occupé qu'il est à faire le pitre avec les instruments de l'infirmière, puis à se plaindre qu'il préférerait être à l'extérieur en ce moment même. Quant à lui, il se laisse aller dans le fauteuil, appuie sa tête sur le dossier, et pivote de manière à être face au brun.

- Crois-moi, on préférerait tous être ailleurs plutôt que de perdre du temps avec ces conneries… Ils pourraient pas filer un autre indice, histoire qu'on trouve plus vite ?