Il y toujours des moments étranges, des moments par lesquels tout le monde passe tôt ou tard. Ces instants pleins de doutes et de questions où l’on se demande ce qu’on est en train de faire de sa vie. La légende raconte que ce genre de questions prend fin avec l’adolescence… Rien n’est moins sûr. Jamal, lui, malgré sa majorité à peine entamée, se posait encore bien trop de questions pour être d’accord avec ça. Peut-être avaient-ils raison dans le fond, ces vieux aigris qui clamaient que les jeunes ne savent jamais ce qu’ils veulent. Cela faisait trois jours que le Turc était arrivé dans cette école plutôt spéciale. Et il ne savait pas trop quoi en penser pour le moment. Ce qui était sûr, c’est qu’il maudissait le sort qui l’avait fait atterrir dans cette chambre avec deux colocataires. Il aurait pourtant donné n’importe quoi pour être seul. Pas que ses deux compagnons de chambrée aient l’air particulièrement désagréables, mais leurs émotions envahissaient l’espace réduit qu’ils partageaient un peu trop intensément au goût du jeune homme. Surtout celui d’origine russe, à se demander ce qui lui était arrivé pour que ce Nikolaï soit dans un pareil état de dépression. Pas ses affaires dans tous les cas, et il ne comptait pas que ça les devienne non plus. Bref, dans tous les cas, ces colocataires étaient de retour et Jamal avait ressenti le besoin de prendre l’air. Dans un endroit où il n’y aurait personne pour lui contaminer l’esprit avec des idées noires, de préférence.

Les bois qu’il avait aperçu à l’entrée du terrain de l’institution lui avait semblé une bonne option, personne ne semblait y flâner à ces heures du jour. Sourire aux lèvres, la veste en cuir de son frère sur le dos, le grand brun avisa un arbre aux branches basses qui lui faisait de l’œil et s’empressa d’y grimper, se calant sur une branche. Il avait une belle vue de là et prit plaisir au silence et à la quiétude soudaine du lieu. L’établissement possédait une aura sereine et le fait qu’il soit ainsi perdu dans la nature était quelque chose de nouveau pour Jamal qui avait toujours vécu en ville. Un léger sourire aux lèvres, le Turc se fit la réflexion qu’au final il pourrait s’y habituer. Ca le changeait du bruit, de l’agitation, des mauvaises odeurs de Zurich qui l’avaient accompagnés toute son adolescence.

Tranquillement, le jeune homme sortit son vieux paquet de cigarettes froissé de la poche intérieure de son blouson. Il avait tout de même bien réduit sa consommation de tabac, quelques années en arrière, ce paquet lui aurait à peine fait deux jours. Grâce aux Müller ça, encore une fois. Ils lui avaient fait la chasse à chaque fois qu’ils le voyaient avec une cigarette à la bouche… Secouant la tête avec un petit sourire amusé, Jamal alluma le petit bâtonnet empoisonné, imaginant parfaitement le sermon assommant auquel il aurait droit si Melissa le voyait en cet instant. Sauf que Melissa n’était pas là, et quelque part, toute emmerdeuse qu’elle pouvait être, ça lui manquait. Son optimisme et sa joie de vivre débordante, sans doute à cause de son don, faisait que le brun se sentait toujours plein d’énergie quand elle était près de lui. Brièvement, il caressa l’idée d’écrire aux Müller pour leur donner des nouvelles, expliquer ce qu’il devenait, peut-être même se mettre d’accord pour se voir et… Non. Jamal secoua a tête, tirant sur sa cigarette. Déjà qu’il ne savait même pas ce que sa vraie famille était devenue, il se fit soudain l’impression d’un traître. Mais la vérité lui faisait peur. Bien plus que le doute de savoir ce qui était arrivé à Salem, Kasim et Isah… Ou sa mère. Il préférait penser qu’ils allaient bien et même si l’incertitude était quelque chose de douloureux, le brun savait par expérience que la vérité pouvait s’avérer bien plus terrifiante.

Des bruits de pas le sortirent de ses songes et le Turc releva la tête, avisant une silhouette se dirigeant vers l’école, il plissa les yeux. Et eut comme un sursaut, sa clope tombant de sa bouche entrouverte pour aller s’écraser sur le gazon humide un peu plus bas. Cette démarche, ce visage… Les yeux clairs du jeune homme rencontrèrent le regard de cette autre élève, l’air sous le choc.

-Melissa ? fit-il tout bas, trop bas pour que la jeune fille l’ait entendu. Puis de reprendre, les sourcils froncés, l’appelant pour de bon. Melissa !

Someday my prince will come ❛ Jamal

La journée avait été particulièrement intéressante. En effet, depuis trois semaines que j’étais dans le coin, j’avais pu me lié d’amitié avec tant de personnes… Et puis, Kilian était avec moi, alors je ne pouvais que passer une bonne année, non ? Ce mercredi-là, j’avais décidé de travailler aussi peu que possible. J’avais passé six heures à étudier sur les huit que je suis censé m’imposer. Mais j’ai envie de prendre l’air. C’est plus agréable !

J’étais repassée par ma chambre pour me changer, l’uniforme était mignon mais je préférais aller me balader dans le domaine avec un pantalon plutôt qu’une jupe. J’en profitais pour prendre ma douche tant qu’elle était libre. J’enfile donc un jean noir tout simple et un t-shirt à l’effigie d’un groupe de rock quelconque. Il était à Jamal ce t-shirt. Je l’ai retrouvé dans sa chambre quand il est partie de la maison. Et je l’ai gardé. Me demandez pas pourquoi, j’en sais rien ! Non, je ne rougis pas ! Fichez-moi la paix !

Je finis par sortir de ma chambre. Mais j’entends finalement mon ventre gargouiller. Je fais la moue, j’ai pourtant mangé y’a pas si longtemps… Je descends à la cafeteria et j’achète un petit sandwich pour patienter jusqu’au dîner. Je sautille ensuite jusque dehors en grignotant mon en-cas. Je suis heureuse de ne pas être à la maison, ma mère me taperait sur les doigts en me disant de faire attention à ma ligne. C’est pas un morceau de poulet dans du pain qui va me rendre obèse… Si ? Kilian approuverait ma mère. Je crois. Quoi que. C’est toujours le premier à grignoter. Non, finalement. Avec lui je serais en paix. Et Jamal, il dirait quoi ? Je me demande ce qu’il devient. J’espère qu’il n’est pas retourné dans la rue… Ca n’aurait servi à rien qu’il vive chez nous dans ce cas.

▬ Melissa.

Je m’arrête et je cligne des yeux. Mon mouvement pour porter mon sandwich à mes lèvres s’est arrêté en plein milieu. Il suffit que je pense à lui pour entendre sa voix ? C’est quoi cette histoire-là ! Tu deviens folle ma pauvre Melissa ! Je lève quand même les yeux, perplexe. Il est là, dans l’arbre. Je reste figée. La dernière fois que je l’ai vu. Il se penchait vers moi pour… Je rougis. Je me détourne, et je rebrousse chemin.

C’était un rêve. J’en suis sûre.

Un rêve… Oui, Jamal aussi avait franchement cru l’espace d’un instant que cette apparition inattendue n’était qu’un sale tour de son imagination. Mais le jeune homme aurait également pu reconnaître cette démarche dynamique, ces courts cheveux bruns ébouriffés et ce visage entre milles. Il n’y avait pas d’erreurs. Alors, la surprise encore bien présente sur son visage, le grand brun avait appelé la jeune femme, se délectant à l’avance de sa réaction qui serait sans doute épique. Un petit sourire s’était peint sur les lèvres du Turc lorsqu’elle leva enfin les yeux, ravi de la tête qu’elle allait tirer.

-Que… ! s’exclama-t-il.

Melissa venait de se détourner et s’éloignait d’une démarche raide qui lui aurait paru bien comique en d’autres circonstances. Mais qu’est-ce qui lui prenait ? Ce grand dadais de Jamal en resta comme deux ronds de flanc, la bouche légèrement entrouverte. Son esprit lui jouait des tours ou son amie venait bel et bien de l’ignorer en beauté ? Vexé, Jamal se laissa tomber au sol, grimaçant alors qu’une légère douleur remontait dans ses jambes suite à la précipitation du geste. Se redressant vivement, il rattrapa en quelques grandes enjambées l’étudiante, lui saisissant vivement le bras pour qu’elle s’arrête. Le cœur battant, comme toujours un peu brusque sans le vouloir, il la tira vivement vers lui pour lui faire face, la dévisageant. Il le savait déjà pourtant : c’était bien elle. Pourquoi l’ignorer dans ce cas ? Était-ce à cause de ce qui s’était passé la dernière fois qu’il s’était vu ? Le Turc ne savait pas trop ce qui lui était passé par la tête ce jour-là, et il pouvait comprendre que la jeune femme ait été un peu choquée par ce geste… Mais ça faisait un moment qu’il en avait envie et… Carpe diem ? Jamal ne pensait pas revoir Melissa après ça et ne souhaitait rien regretter alors… Il avait osé, tout simplement. Cependant, même s’il n’en montrait rien, le brun était un peu gênée, au moins autant qu’il était heureux, de se retrouver de nouveau devant l’adolescente.

-Tu m’ignores maintenant Mel ? demanda-t-il en penchant légèrement la tête sur le côté, sourcils froncés et la voix un peu moqueuse, bien plus sûr de lui qu’il ne l’était en réalité.


Son regard clair l’observa de nouveau, freinant avec surprise quand il avisa son t-shirt. Un petit sourire vint retrousser ses lèvres. Ainsi, c’était là qu’il avait atterri ce t-shirt AC/DC qu’il avait cherché partout ! Jamal ne l’aurait jamais imaginé…

-Tu sais, il est un peu grand pour toi, ce t-shirt… fit-il, pince-sans-rire, franchement amusé de la voir vêtue de cette manière. Ça pouvait prêter à confusion d’ailleurs.

Un léger silence s’installa et, un peu mal à l’aise, il détourna les yeux ne sachant trop quoi dire. Jamal transféra son poids d’un pied sur l’autre, hésitant sur la marche à suivre. Allez, Mel, dis quelque chose !

-Tu m’as manqué. Finit-il par lâcher abruptement, sans détour, le visage plus sérieux.

Ce qui était assez malvenu de sa part sachant que c’était lui qui avait disparu de la circulation sans donner la moindre nouvelle malgré ce qu’il avait promis…

Someday my prince will come ❛ Jamal

Je commence à devenir réellement folle, je crois. Non, sérieusement ? Mon pouvoir n’a rien à voir avec matérialisé quelque chose à laquelle je pense ! Si encore j’avais ce don là, peut être que j’aurais pu envisager la solution pour avoir Jamal sous les yeux. Mais c’était clairement improbable. Totalement improbable. Ou alors j’étais réellement fatiguée et j’étais victimes d’illusion. Peut-être un camarade s’amusait-il à mes dépends ? Mais il ne connaissait pas Jamal ! Alors comment pouvait-il le faire apparaître devant moi ?

Ce n’est que quand je sentis sa main s’emparer de mon bras que je compris qu’il était bien réel. La bouche ouverte en un O parfaitement arrondit, les yeux fixés sur son visage. Bordel de cul, qu’est ce qu’il faisait là ce turc de malheur ! Il est revenu pour me faire faire des arrêts cardiaques, c’est ça ! Faut le faire avouer. Parce que le coup de la dernière fois… Non. Ca suffit Melissa. Y’en a marre, tu vas pas t’arrêter sur un simple baiser ? Il a du faire de genre de chose des dizaines de fois depuis qu’il est en âge d’embrasser quelqu’un, en quoi ce serait particulier ? Alors pourquoi n’arrêtes tu pas de rougir ma pauvre fille ? On se reprend, on range ce souvenir dans un tiroir et on fait comme d’habitude !

▬ Je pensais que tu étais une illusion.

Directe et franche, comme d’habitude. Il va falloir que j’apprenne quelques notions de tact et de diplomatie parce que ce n’est pas gagné comme idée. Je souris un peu. Une fois ce qui me trainait dans la tête balayé, je redevins normale. Mon sourire s’étira longuement et je lui sautais finalement au cou en entendant ses derniers mots, passant mes jambes autour de sa taille.

▬ Toi aussi tu m’as manqué espèce de sale menteur et lâcheur ! Tu m’avais dis que tu écrirais, enfoiré !

Je ne le pensais pas vraiment, évidemment, mais c’était dit avec humour et amusement. Elle glissa ses mains dans les cheveux du brun et les ébouriffa longuement.

▬ Il est très bien ce t-shirt ! Il me va mieux qu’à toi, d’abord !

Oui, Melissa lui avait manqué. Quoi qu’il en dise. Mais après tout, les années que le jeune homme avait passé chez les Müller continuaient à faire partie des plus belles années de sa vie, remplies de bons souvenirs. Et la jeune fille qui lui faisait face y était pour beaucoup. La remarque fit sourire Jamal. Une illusion hein ? Drôle de réaction.

-Non, je suis bien là, comme tu peux le voir… avait-il répondu avec un petit sourire entendu, une légère lueur moqueuse au fond de ses yeux clairs.

Une illusion… Ça sonnait un peu comme un « rêve devenu réalité » cette affaire. Le brun devait-il comprendre par là que Melissa continuait de penser souvent à lui ? C’était flatteur quelque part… Mais en même temps, vu le geste qu’il avait eu à son départ… Contrairement à ce que pouvait penser la brunette, il n’avait d’ailleurs pas embrasser tant de filles que ça ce grand maladroit de Turc ! Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il avait eu d’autres choses en tête quand il était ado. S’inquiéter pour ses frères et faire chier ses familles d’adoption en tête. Et puis… La plupart des filles lui avaient toujours paru inintéressantes, ennuyeuses. Enfin, à part celle qui lui faisait face. Mais ce n’était pas pareil. Et pour cause, Melissa était complètement folle ! Mais c’est ce qui faisait partie de son charme, pour ainsi dire… Comme elle le prouva une nouvelle fois en lui sautant au cou, d’ailleurs ! !Chassez le naturel et il revient au galop…

Tout grand et costaud qu’il était, l’étudiant laissa échapper un « Hmph ! » surpris, vacillant et rattrapant la jeune fille comme il put, les mains posées sur ses hanches. Il eut un sourire indulgent et raffermit sa prise tout en déposant un léger baiser sur la joue de la plus jeune, content malgré ses accusations, sentant bien que malgré ses dires elle était heureuse de le voir là.

-J’ai dit que j’écrirai, j’ai jamais dit quand. Répliqua-t-il en tentant de jouer sur les mots, l’étincelle joueuse de ses prunelles montrant bien qu’il se fichait d’elle. Il reprit son sérieux et tenta de se justifier un peu mieux. Non, sérieusement, excuse-moi, j’ai été… plutôt occupé cette année. J’ai commencé une formation en menuiserie puis j’ai reçu cette lettre et… Bref.

Oui, Jamal était un peu mal à l’aise de son supposé don. Mais depuis que les migraines avaient empiré, le Turc ne pouvait plus faire celui qui ne remarquait rien. Il fit mine de grogner à cette main dans ses cheveux et lui pinça la hanche en représailles, souriant. Melissa avait toujours eu cet effet sur lui, lui permettant enfin de s’amuser d’un rien, comme le gosse qu’il n’avait jamais été. La remarque sur son t-shirt lui arracha une mimique dubitative.

-Hm… Disons que, au moins, pour une fois, on pourrait croire que tu as des goût musicaux décents. Lança-t-il pour l’embêter et pour le plaisir de la voir rager un petit peu.

The boys are back ❛ Jamal

Oui, c’était un rêve. Un rêve éveillé que la j'avais finit par abandonner. Je l'avais comprit quand, au bout de trois mois, je n’avait reçu aucune lettre et aucun coup de téléphone. Je m’étais sentie mal pendant plusieurs semaines, dissimulant ma peine sous un sourire encore plus éclatant qu’habituellement. Mais, ce que j'avais prit comme un abandon de la part de Jamal avait finalement été pardonné. Je lui en avais voulu pendant un moment mais ce n’était plus tellement le cas. Je me posais surtout énormément de question sur Jamal. Sur sa vie, sa famille, ses amis, ses rêves… Néanmoins, aujourd’hui, le rêve devenait réalité et je pouvais recommencer à l’enquiquiner comme avant. D’autant plus que nous sommes enfermés dans cette école pendant encore un long moment.

Je claquai mes deux mains sur ses joues avant de les pincer comme on ferait avec celles d’un enfant. Je soufflai longuement sur son nez avant de le lui mordre gentiment. Il m'avais manqué. Réellement. Je fronce le nez en l’entendant jouer sur les mots et lui lance un regard qui voulait bien dire ce qu’il voulait dire : « Joue encore un peu avec ma peine de cette époque pour voir. »

J'haussai les épaules et me laissai choir sur l’épaule du brun, enfouissant son nez dans son cou. Me calmant durant cet instant, devenant plus sage en quelques secondes.

▬ J’ai attendu tes lettres, on n’attend pas un an pour contacter quelqu’un.

Et… Et si il n’avait absolument pas voulu lui parler de nouveau ? C’était peut être ça, au final. Je sentis mon cœur se serrer à cette pensée et la chassait aussitôt de mes pensées. Il ne m’aurait pas embrassé si ca avait été le cas, n’est-ce pas ?

▬ Je te permets pas, mes goûts musicaux sont très bien Monsieur Je-vis-dans-le-passé !

Je lui tire la langue et descend finalement de ses bras, croisant les siens sur ma poitrine avec un regard intrigué.

▬ Menuisier ? Pourquoi menuisier ?

Ouh. Bon d’accord, apparemment sa plaisanterie avait été une mauvaise idée au vu du regard ombrageux que lui accorda la jeune femme et auquel il répondit par un sourire d’excuse. Plaisanter sur sa pseudo disparition n’avait pas été une bonne idée, et c’était bien pour ça que Jamal s’était vite rattrapé. Voir Melissa peinée ou en colère, très peu pour lui. Ce serait quelque chose… d’inconfortable, pour ainsi dire, de voir cette petite brune pétillante de vie et toujours d’humeur égale dans cet état. Et puis… Le grand brun n’aimait pas spécialement reconnaître ses torts, mais il fallait bien avouer qu’en cette occasion, le seul coupable c’était bel et bien lui. Pourtant, tant qu’il n’avait pas eu la jeune femme sous le nez, le Turc s’était trouvé d’excellentes excuses pour ne pas avoir à donner de nouvelles, remettant toujours la chose au lendemain. Dans le fond, il n’aurait pas su quoi écrire, et garder le contact signifiait partager ce que serait sa vie pendant les prochaines années. Et s’il fallait être sincère, ce presque adolescent paniquait à l’idée de finir comme le reste de sa fratrie quoi qu’il décide et craignait de décevoir les Müller.

Le regard un peu dans le vague, Melissa se chargea vite de le réveiller. Le plus vieux gronda de mécontentement à ce tripotage en règle, reculant le visage lorsqu’elle lui mordit le nez, ne pouvant s’empêcher de sourire à l’allégresse qu’il percevait chez son amie. Et en guise de vengeance lui chatouilla brièvement les côtes.

-Je ne suis pas une peluche ! fit-il mine de bougonner en posant son menton contre l’épaule de l’adolescente.

Et étrangement, la brunette se calma. Et Jamal frissonna au contact de son nez froid contre son cou, souriant malgré tout en la sentant se laisser aller contre lui. Ces moments de calme étaient rares chez elle et l’étudiant le savoura à sa juste valeur, passant timidement, un peu maladroitement sans doute, sa main le long du dos de cette mignonne bestiole accrochée à lui. Main qui retomba à la remarque de Melissa tandis que le coupable faisait la grimace. Non, on n’attendait pas un an pour écrire une lettre, en effet…

-Pardon. Fit-il abruptement, dans un chuchotis, sans en donner pour autant les raisons.

Il ne voulait pas se justifier. C’aurait été se livrer un peu trop intimement. Après tout, malgré le temps passé chez les Müller, Jamal n’avait jamais ne serait-ce que mentionner sa situation familiale. Et expliquer ce genre de détails serait… Embêtant, à n’en pas douter. Il était pudique pour ce genre de choses…

Fort heureusement, Melissa reprit vite son attitude habituelle et le Turc la laissa descendre après un dernier ébouriffage de cheveux. La réplique de son interlocutrice lui tira une moue blasée, la paupière agitée d’un tic de désespoir.

-…

Jamal préféra garder le silence, son regard moqueur parlant très bien pour lui tandis qu’il contemplait le visage de la jeune fille. Enfin, le Turc avait abandonné depuis longtemps l’idée de refaire l’éducation musicale de son amie. C’était un cas désespéré… Aussi préféra-t-il rebondir sur sa question, haussant vaguement les épaules avant de s’asseoir tranquillement dans l’herbe. Ne se rendant d’ailleurs pas compte du paquet de cigarettes qui dépassait de la poche de son jean.

-La menuiserie m’attirait. Expliqua-t-il avec un petit sourire. Je veux dire… J’aime l’idée de créer quelque chose de mes mains et en plus c’est un métier qui permet de bien gagner sa vie. Et puis cette lettre est arrivée et… Il fronça les sourcils, reportant son regard sur le visage de Melissa tout en demandant. Je suppose que si tu es là, ça veut dire que toi aussi tu… Tu n’es pas exactement normale, hein ?

My favourite things ❛ Jamal

Je crois que, de toute façon, à ce stade, je lui aurais tout pardonné. Jamal et Kilian sont différents en bien des points mais ils ont tous les deux énormément d’importance à mes yeux. Jamal a prit une place à part dans ma vie. La place de l’homme sur lequel j’ai « fantasmer » pendant des dizaines de jours, des centaines de jours. Et même si je savais que je devais pas mal l’agacer parfois, j’avais tout de même envie de faire partie de sa vie. J’étais beaucoup trop vive et trop gamine pour mon âge mais… Je n’avais aucune envie de grandir. Parce que, grandir ça veut dire avoir des responsabilités, mettre le nez dans les finances. Et ça, j’ai pas envie. Clairement pas. C’est tellement triste de devoir grandir. Alors je reste enfant, je fais la sale gosse à tripatouiller les gens que j’aime, les embêter, poser toute sorte de question. J’adore ça. Je me sens vivante. Mais c’est aussi pour ça que je n’ai pas énormément d’amis, parce qu’ils supportent mal mon hyperactivité. Et j’ai peur que ce soit un peu le cas avec Jamal. Mais je suis incapable de changer, même pour lui. Même pour Kilian. Même pour ma mère ou mon père. Je grandirais peut être un jour mais pas tout de suite, il est trop tôt.

Je regarde Jamal s’asseoir et fronce le nez. Je me baisse et attrape le paquet de cigarette que je vais sans plus de cérémonie jeter dans le fond d’une benne à ordure. Non mais. Puis je reviens près de lui, l’air de rien. Je ne laisse pas mes amis se ruiner la santé avec des conneries pareilles. C’est ridicule. Et ça me tuerait qu’ils meurent d’un cancer quelconque parce que je les aurais laisser fumer n’importe quoi. Et pas besoin de me justifier, il sait très bien pourquoi je l’ai fais. Je m’installe près de lui et l’écoute, surpris de sa question.

▬ Mais je suis tout à fait normale moi ! Qu’est ce que tu entends par là !

Je ne vois pas en quoi je ne le suis pas. Je penche la tête avant de percuter. L’école de don ! Je frappe la paume de ma main contre mon front et soupire.

▬ J’avais oublier. Il paraît ouais. Mais je sais pas quoi. Et toi ? Tu sais faire quoi ?

Ma question sortait de nulle part mais peu m’importait. Je voulais savoir. J’étais comme ça moi. Je lui souris un peu et m’allongeais, la tête sur ses genoux. Je l’observais un peu, le regard plongé dans le sien. Je repensais à ses mots précédents. Je ne lui en voulais plus mais oui, j’aurais aimé des explications. Je creuserais plus tard, aujourd’hui il risquerait de m’envoyer paître.

▬ Je suis d’accord avec toi, j’aimerais bien construire des trucs moi aussi. Tu m’apprendras ?

Mauvaise idée, Mel. T’es incapable de tenir un marteau sans te blesser ou blesser les gens autour de toi. Alors soit raisonnable.

Jamal aurait souri de tout ce qui passait par la tête de Melissa en cet instant. Certes, ses manies pouvaient être agaçantes, surtout pour un homme aussi peu démonstratif et tactile que lui. Il fallait bien avouer aussi que ce n’était pas avec l’affection qu’il avait jamais reçu de sa famille que le Turc allait être habitué aux papouilles en règle de son amie. Mais d’un autre côté, ça faisait partie du charme de cette petite pile électrique. À n’en pas douter, quand il n’était pas d’humeur, le grand brun ne se gênait pour envoyer paître la pauvre jeune fille. Cependant, s’il se le permettait, c’était bien parce que dans le fond, il savait qu’elle ne lui en tiendrait pas réellement rigueur. Enfin, quelque part, il était assez amusant que ces deux-là s’entendent bien entre un adolescent privé d’enfance, obligé de grandir un peu trop vite et qui a oublié comment s’amuser, et cette femme-enfant avec qui il était parfois difficile d’avoir une conversation sérieuse. Mais l’alchimie était là, fonctionnait parfaitement, et c’était tout ce qui comptait dans le fond. Non ?

Assis dans l’herbe, le jeune étudiant était un peu perdu dans ses pensées, toujours un peu abasourdi de retomber sur Melissa comme ça, au moment où il s’y attendait le moins. Mais le geste vif de son amie manqua le faire sursauter alors qu’elle extirpait sans douceur son paquet de Marlboro de sa poche.

-Mel ! protesta-t-il par réflexe, lui lançant un regard plein de reproche.

Mais trop tard, la brunette avait déjà fait un sort à son paquer. Merde, ça coûtait de l’argent cette connerie, qu’est-ce qu’elle croyait ? Bougonnant dans sa barbe, Jamal n’insista cependant pas, peu désireux de se prendre un des fameux sermons de son amie. Ce qu’elle pouvait être intraitable à ce niveau-là ! Enfin, le jeune homme comprenait que c’était pour sa santé et que si elle n’en avait rien à faire, Melissa resterait les bras croisés. Aussi se contenta-t-il d’un lourd soupir, se promettant d’être plus discret la prochaine fois…

Puis la réplique lui arracha un regard blasé. Pour une fois qu’il ne voulait pas dire ça… Heureusement, la jeune femme finit par percuter. En partie du moins. Jamal fronça les sourcils. Comment ça, elle ne savait pas ? Enfin, Melissa avait bien dû se rendre compte qu’elle pouvait faire quelque chose dont la majorité était incapable non ? Même lui, qui avait cru que son don était simplement une bonne intuition de la nature humaine, avait fini par comprendre que c’était anormal… Enfin, le brun soupira. Si la jeune fille disait qu’elle ne savait pas. Par contre le questionnement sans détour le fit tiquer. Et il haussa les épaules.

-Comment ça, t’en sais rien ? Y’a pas quelque chose que tu fais qui est hors de portée des autres ? demanda-t-il tout de même qu’elle finisse par percuter. Moi ? De… L’empathie. Je ressens les émotions des autres… Et si elles sont trop violentes ou négative, ça me file une migraine pas possible. Grommela-t-il, l’air assez peu emballé par son soi-disant don.

Souriant doucement, il laissa la jeune femme s’installer, passant une main câline dans les mèches courtes. Ça, ça ne le gênait pas, étrangement. Rendant son regard à son amie, il put lire une certaine interrogation dans ses yeux. Quelque chose de sérieux, assez rare pour être noté. Jamal se sentit intrigué. Que lui arrivait-il ?

-… Si t’as un truc à me demander Mel, te gêne pas. J’vais pas te bouffer… fit-il doucement, prêt à faire des concessions, vu le sale coup qu’il lui avait fait en disparaissant. Après, qu’il se referme comme une huître si la jeune femme s’exécutait, c’était possible…

Mais la question qui sortit de la bouche de Melissa finalement le fit éclater de rire. Lui apprendre ? Bon Dieu, dans ce cas-là, faudrait la filmer !

-Si tu veux… Mais t’es sûr que c’est une bonne idée ? demanda-t-il d’une voix taquine. Tu risquerais de te faire mal…

How could you be so heartless ? ❛ Jamal

Et je crois que je ne l’aurais pas cru. J’ai une immense confiance en les gens pour tout ce qui s’agit des promesses ou ce genre de chose sur des sorties, des cadeaux. Bref, ce genre de futilité. Mais dès qu’il est question de croire que la personne restera près de nous jusqu’à la fin de nos jours, c’est autre chose. Malheureusement, un ami c’est ça pour moi. Quelqu’un qui, malgré les années, sera toujours là pour vous quoiqu’il arrive. Qui sera toujours dans vos pâtes à vous enquiquiner pour que vous arrêtiez de fumer, pour que vous arrêtiez de boire, pour que vous vous méfiiez du soleil, des aliments pleins de gras, pour que vous soyez en bonne santé. Mais aussi pour que vous riiez, que vous vous amusiez, que vous ne perdiez jamais votre âme d’enfant, votre but ou votre façon d’être. Un ami c’est une personne que vous ne supportez pas mais dont vous ne pouvez pas vous passer. Quelqu’un dont vous avez besoin sans vraiment le savoir. Sans qui vous ne pourriez pas vivre. Alors oui, Jamal est quelqu’un qui compte énormément pour moi, mais après cette année, serais-je capable de lui parler comme avant, de lui faire confiance comme avant ? Alors qu’il a rompu cette promesse qui n’avait peut être aucune importance à ses yeux mais qui en avait pas mal aux miens. Alors oui, je n’étais pas rancunière quant il s’agissait de promesse sans importance. Mais dès qu’elle prenait de la valeur à mes yeux, alors il ne valait mieux pas la rompre. Je ne sais pas s’il regagnera ma confiance, s’il la souhaite seulement, mais je ne compte pas agir de manière différente. Je serais toujours la fille délurée et absolument pas sérieuse que j’ai toujours été. Je ne me confierais pas à lui et il ne se confiera pas à moi. C’est encore une des raisons qui me font douté de sa réelle sympathie à mon égard. Il ne m’a jamais rien raconté de sa vie. Pourtant quand on vit un an avec une personne et qu’on l’apprécie réellement, les langues se délient et on en vient forcément à discuter de sa famille et de son passé. Jamal, lui, jamais. Ca ne m’avait pas gêné sur le coup, mais après n’avoir reçu aucune nouvelle, je finis par comprendre le pourquoi du comment.

Revenons les pieds sur terre ! Je réfléchissais un instant à ce que je pourrais avoir de plus par rapport aux autres…

▬ Je souris tout le temps ? Je chante aussi, plein de trucs différents ! Ou alors c’est mes blagues ! Tu connais celle du schtroumf ? Et bien il court, il tombe et se fait un bleu !

Je m’esclaffai toute seule devant ma blague sans me rendre compte d’à quel point elle pouvait être idiote. Aucune chance que Jamal rigole à une chose pareille. Mais peu m’importait. Je l’ai dis, je n’allais pas changer ma manière d’être.

▬ J’ai aucune idée de ce que je fais de mieux que les autres moi… Je suis normale c’est tout. C’est peut-être ça mon pouvoir ! Être super-normal. Héroïne de toute une génération grâce à sa cape de normalitude.

Puis je m’arrête. Attendez une minute. De l’empaquoi ? Je le regarde de manière incrédule, frissonnant à ses doigts dans mes cheveux.

▬ Tu lis ce que je pense là ?

Quoi ? C’est pas ça ? Je suis surprise qu’il m’encourage à poser une question et lève la main pour prendre la température de son front.

▬ T’es malade c’est ça ? T’as chopper un truc pas net ? Dis le qu’on aille à l’infirmerie…

J’avais peine à y croire, lui qui semblait toujours assez exaspéré que je lui pose des questions. Un soupire passa mes lèvres et je l’observais un instant. Osera, n’oseras pas ?

▬ C’est pas grave si je me fais mal ça va guérir tout seul !

N’osera pas. Comme d’habitude quoi. J’ai l’impression d’avoir peu de cicatrice ou de plaie sur le corps. Ca guérit super vite ces bêtises !